Comment le cerveau se réorganise-t-il pendant une période de surdité profonde ? Comment s’adapte-t-il de nouveau à l’audition ? Quels mécanismes cérébraux régissent la récupération de la parole chez les personnes sourdes portant un implant cochléaire ? Telles sont les questions sur lesquelles se sont penchés des chercheurs du Centre de recherche cerveau et cognition (CerCo, CNRS/Université Toulouse III – Paul Sabatier), en engageant une étude d’imagerie cérébrale chez des patients sourds implantés cochléaires. Fruits d’une étroite collaboration avec le service ORL de l’hôpital Purpan à Toulouse, ces travaux publiés le 6 mai 2011 dans Human brain mapping révèlent comment les régions du cerveau impliquées dans l’audition ou la vision se réorganisent au fur et à mesure de la récupération.

Depuis plus de vingt ans, les implants cochléaires constituent une méthode efficace de récupération des fonctions auditives. Cette technique a déjà permis à de nombreux patients sourds profonds de récupérer une excellente intelligibilité de la parole, aspect fondamental de la vie en société. Les implants cochléaires sont en fait des neuroprothèses auditives. Placées dans l’oreille interne, elles transforment les sons extérieurs en impulsions électriques qui vont directement stimuler le nerf auditif grâce à des électrodes placées dans la cochlée. L’information délivrée par l’implant est cependant appauvrie ; les patients doivent donc développer des stratégies d’adaptation dans lesquelles les informations visuelles ont un rôle fondamentalement complémentaire.

Afin de compléter et corriger ce qu’ils peuvent avoir mal entendu, les patients sourds utilisent notamment la lecture labiale d’une façon bien plus efficace que les personnes normo-entendantes. Cette compensation inter-modalitaire, basée ici sur la vision, est appelée « vicariance sensorielle » et existe également chez les patients aveugles. La vicariance sensorielle s’exprime au niveau comportemental par des capacités accrues dans les modalités épargnées et au niveau cérébral par une réorganisation fonctionnelle des régions privées d’informations sensorielles. Or cette réorganisation fonctionnelle du cerveau peut être délétère aux techniques de suppléance. Par exemple, pour les personnes sourdes de naissance ou avant l’acquisition du langage, un implant cochléaire posé à l’âge adulte ne permet pas de récupérer la compréhension du langage, mais uniquement la perception des sons. Le cerveau du sujet sourd pré-lingual s’est réorganisé et du fait de la surdité prolongée, le réseau auditif traite d’autres informations et les aires auditives ne peuvent pas récupérer leurs fonctions initiales.

Qu’en est-il chez les patients devenus sourds après l’acquisition du langage et chez qui il a implanté une neuroprothèse auditive ? Comment le cerveau de ces patients s’adapte-t-il pour traiter de nouveau les informations provenant de la parole ? S’intéressant ainsi aux mécanismes de plasticité cérébrale et à la perception de la parole chez des patients sourds, l’équipe de Pascal Barone et Olivier Deguine au CerCo a réalisé un suivi longitudinal des mécanismes neuronaux qui lient vicariance sensorielle et récupération auditive. Les sujets étudiés ont été soumis à deux séances d’imagerie cérébrale TEP (tomographie par émission de positons) ; la première dès les premiers jours suivant l’activation de l’implant et la seconde six à neuf mois après, lorsque les patients ont récupéré une intelligibilité optimale de la parole.

Figure: Le traitement de la parole audio-visuelle implique un réseau cortical complexe qui comprend les aires occipitales visuelles, les aires temporales auditives et le cortex frontal, dont l’aire de Broca. Après la pose d’un implant cochléaire, la lecture labiale favorise une activation des aires auditives temporales. Leur niveau d’activité diminue au fur et à mesure de la récupération par l’implant, qui se traduit également par une réactivation progressive de l’aire de Broca, liant les aires auditives à celles de la production de paroles. © CerCo, P. Barone.

Cette étude a tout d’abord permis de démontrer chez le patient sourd que durant un exercice de lecture labiale, les aires qui traitent normalement les informations auditives sont activées par les information langagières visuelles. Ceci est particulièrement vrai pour une aire du lobe temporal plus spécifiquement impliquée dans la reconnaissance de la voix humaine. Le suivi longitudinal a par la suite révélé qu’après une année d’adaptation à l’implant et récupération maximale de l’intelligibilité de la parole, ces mêmes patients montrent une forte réduction de la colonisation des aires de la voix par le traitement visuel de la lecture labiale. En parallèle, les chercheurs ont également observé une réactivation de la boucle temporo-frontale qui lie les aires auditives à l’aire de production de la parole, l’aire de Broca. L’ensemble de cette étude met donc en évidence que les phénomènes de réorganisation intermodalitaires induits par la surdité chez l’adulte et qui s’expriment par une colonisation des aires auditives par la vision, s’estompent au fur et à mesure de la récupération permise par l’implant, pour atteindre un motif proche de la normale.

Du point de vue des neurosciences, ces recherches apportent des connaissances nouvelles sur les mécanismes de plasticité corticale à la base des phénomènes de vicariance sensorielle. Une littérature abondante sur le sujet dévoile des positions contradictoires sur les effets délétères ou bénéfiques d’une privation sensorielle sur le fonctionnement normal des autres modalités. Les travaux du CerCo apportent des informations cruciales à ce débat, car nul autre domaine ne permet d’analyser, sur un même sujet, les effets d’une déafférentation sensorielle puis de sa récupération par neuroprothèse.

Sur le plan clinique et concernant la surdité et l’implantation postlinguales, ces résultats confirment l’importance de consolider les interactions entre l’audition et la vision lors de la rééducation orthophonique des patients sourds. En effet, l’intervention de la vision et l’activation des interactions visuo-auditives permettent une récupération plus rapide de l’intelligibilité de la parole, sans interférer sur un retour à la normale des circuits neuronaux qui traitent la parole auditive.

 source : http://www.techno-science.net

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